The Decalogue (Dekalog)

1988

Ten one hour television drama films. Each one is based on the ten commandments, and all revolve around life in the same apartment complex in suburban Warsaw. A Short Film About Killing, And A Short Film About Love are extended theatrical versions of their Dekalog counterparts.

 

Critique de Gérard Pangon (Télérama)

Décalogue 1 (Un seul Dieu tu adoreras)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Henryk Baranowski (Krzysztof) Wojcieh Klata (Pavel) Maja Komorowska (Irena).
Scénario de Krzysztof Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz.
Musique : Zbigniew Preisner.
55 min

Pavel a onze ans. L'oeil et l'esprit vifs, il regarde le monde et pose des questions. Krzysztof, son père, passionné d'informatique, explique toujours tout. Ou presque. Un jor pourtant, sa "science" est prise en défaut. et c'est la tragédie...

Quand s'ouvre ce Décalogue 1, la caméra regarde à terre. Puis elle se relève lentement en suivant la surface d'un étang gelé avant de s'arrêter sur un homme étrange, assis dans la neige, devant un feu. ensuite, elle se tourne vers le ciel à la certicale d'un immeuble dont les rambardes de balcons ressemblent à des croix. Entre le sol et le ciel, il y a l'homme. Et Pavel, l'enfant innocent au regard pur, en quête de vérité...
Kieslowski, d'emblée, annonce donc la couleur : au centre de tout le Décalogue se trouve l'individu tiraillé, en conflit avec lui-même, sa morale, ses croyances et l'univers tout entier. Dans cet épisode, le cinéaste aborde le problème de l'existence de Dieu. Ou plutôt de dieux. Mais pour lui - et pour Pavel qui regarde en gros plan le lait qui se dilue dans un verre de café, rien n'est tout blanc ni tout noir. si la caméra s'attarde sur les visages, c'est pour y sentir vaciller les certitudes. Kielowski a de la tendresse pour ses héros parce qu'ils sont humains. Ils ne sont ni des stéréotypes ni des "porteurs d'idées" mais des individus qui s'efforcent de vivre. Aucune théorie, aucune croyance ne règle quoi que ce soit sans l'homme : à lui d'être responsable pour préserver la vie. A lui d'agir. De mentir s'il le faut... Mais ça, c'est une autre histoire. Ou plutôt, ce sont enuf autres histoires. Elles suivent...

Décalogue 2 (Tu ne commettras point de parjure)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Krystyna Janda (Dorota), Aleksander Bardini (le médecin-chef), Olgierd Lukaswicz (Andrzej)
Scénario de Krzysztof Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz.
Musique : Zbigniew Preisner.
55 min

Andrzej est à l'hôpital, très malade. Mourra-t-il ou non, telle est la question que Dorota, sa femme, pose au médecin. Mais pourquoi, au fond, y attache-t-elle tant d'importance ? Est-ce par amour ?...

Mais où est donc ce commandement que Kieslowski tourne, contourne ou détourne ? Ici, ce n'est pas simple. Le médecin est amené à pronostique la vie ou la mort, c'est à dire à parler à la place de Dieu, autrement dit, à jurer. Et donc à transgresser la loi "tu ne commettras point de parjure". Sur cette idée complexe, Kieslowski a pourtant bâti un récit limpide en s'attachant à deux types de personnages qu'il affectionne. D'un côté, un médecin, l'homme des cas de conscience, celui qui tend la main à l'humanité toute entière ; de l'autre une violoniste, l'artiste avec ses impulsions, ses inspirations et ses brusqueries. La tension naît de leur rencontre et fait de ce Décalogue 2 un film physique, un affrontement de l'ordre et du désordre, du lisse et du rugueux, de l'eau et du feu. Le récit palpite de bout en bout, intrigue, bouleverse et passionne.

Décalogue 3 (Tu respecteras le jour du Seigneur)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Daniel Olbrychski (Janusz), Maria Pakulnis (Ewa), Joanna Szczepkowska (l'épouse de Janusz), Artur Barcis (le conducteur de tramway), Krystyna Drochocka (la tante).
Scénario de Krzysztof Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz.
Musique : Zbigniew Preisner.
60 min

Alors qu'il s'apprête à fêter Noël avec ses enfants, Janusz est appelé par Ewa, une ancienne maîtresse ; son mari a disparu : elle a besoin de lui. Janusz invente un prétexte et rejoint Ewa...

« Tu respecteras le jour du Seigneur », dit le troisième commandement. Et le héros, bien sûr, ne le respecte pas : Le Décalogue est une entreprise de détournement qui bouscule les règles afin de remettre en cause toute éthique figée. Ne vaut-il pas mieux transgresser la loi pour sauver une vie, suggère ainsi Kieslowski. Mais il ne s'attarde pas à philosopher : sa réflexion et ses interrogations passent par la mise en scène des sentiments. Les personnages oscillent entre mensonge et vérité (le héros se nomme Janusz, ce n'est pas par hasard), et le film va sans cesse de l'ombre à la lumière, des espaces vides d'une Varsovie déserte, sinistre et enneigée aux visages qui se rapprochent, aux regards qui se cherchent, aux mains qui se rejoignent. Deux solitudes se croisent pour quelques heures d'illusion, mais les liens sont à jamais distendus. Cette quête poignante des fils invisibles qui peuvent unir deux êtres dans un même destin annonçait déjà le dernier Kieslowski, Trois Couleurs : Rouge.

Décalogue 4 (Tu honoreras ton père et ta mère)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Adrianna Biedrzynska (Anka), Janusz Gajos (Michal), Artur Barcis (le jeune homme), Adam Hanuszkiewicz (le professeur), Andrzej Blumenfeld (l'ami de Michal).
Scénario de K. Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz.
Musique : Zbigniew Preisner.
55 min

Anka a 20 ans. Sa mère est morte, et elle vit avec Michal, son père. L'un et l'autre sentent bien que le lien qui les unit est plus trouble qu'un simple amour filial. Mais Anka est-elle vraiment la fille de Michal ?...

Tout l'art de Kieslowski, le perturbateur, est de nous prendre au piège de cette question. D'entretenir le suspense. De semer le doute. Et lui, finalement, se fiche de la réponse, comme de traiter le problème de l'inceste. Le quatrième commandement, « Tu honoreras ton père et ta mère », n'est qu'un prétexte à broder sur le thème du bonheur et de la vérité. Comment comprendre l'autre, comment réussir à s'avouer l'inavouable, comment se construire ensemble un avenir sur un terrain instable. Une fois encore, c'est à partir d'un réalisme méticuleux que Kieslowski renvoie à l'abstraction. Un verre de lait, une vitre brisée, un ascenseur, un bras tendu, une poupée, un store baissé, des rais de lumière, un pull trop tiré..., il s'attache à des objets, des gestes, des attitudes, des regards, autant de signes qui parsèment le film, s'accumulent et lui donnent du sens. Sans qu'il soit nécessaire de tout disséquer ni de tout expliquer : le cinéma de Kieslowski dépasse le récit classique pour créer des correspondances, des sensations, des émotions.

Décalogue 5 (Tu ne tueras point)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Miroslaw Baka (Jacek), Jan Tesarz (le chauffeur de taxi), Krzysztof Globisz (Piotr).
Scénario : Krzysztof Kieslowski et Krzysztof Piesiewicz.
60 min

Jacek erre dans le centre de Varsovie. Il aperçoit un taxi, le hèle, se fait conduire dans les faubourgs. Il agresse le chauffeur, s'acharne longuement, jusqu'à le tuer. Jacek est pris, condamné, exécuté par pendaison.

Avec ce réquisitoire contre la peine de mort, Kieslowski pour une fois colle au commandement qu'il illustre : « Tu ne tueras point. » Mais il se livre aussi à des variations sur la solitude, la responsabilité, le hasard et le destin. Kieslowski suggère par des indices furtifs le passé de son personnage et une caméra incisive le suit dans son isolement progressif à travers des vitres, des miroirs, des images déformées où domine un vert crépusculaire. Sans chercher d'explications psychologiques, le cinéaste décrit l'enchaînement des faits qui ont transformé un enfant meurtri en adolescent meurtrier. Le Décalogue 5 est un film dur, un vrai choc - qui bouleversa d'ailleurs le festival de Cannes 1988 - qui prend le spectateur à rebrousse-poil pour mieux l'impliquer.

Décalogue 6 (Tu ne seras point luxurieux)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Grazyana Szapolowska (Magda), Olaf Lubaszenko (Tomek), Stefania Iwinska (la logeuse), Piotr Machalica (Roman), Artur Barcis (le jeune homme).
60 min

Chaque soir, avec sa longue vue, Tomek le postier observe Magda, sa voisine d'en face. Il sait tout d'elle : ses amis, ses amants. Il rêve d'elle. Tomek et Magda finissent par se trouver face à face.

Une histoire d'amour née d'une perversion : voilà bien le style Kieslowski, qui n'emprunte jamais les sentiers battus. « Mais le voyeurisme est lié au désir, et le désir est l'un des moteurs de l'amour », rétorquait le cinéaste. Certes. L'essentiel du film n'est pas là. Tomek est un frustré, et Magda, une hédoniste ; chacun s'enferme dans son système, ne parvient à atteindre l'autre qu'après des contorsions difficiles. Ce qui intéresse Kieslowski n'est pas l'échec ou la réussite de leur rencontre, mais leur façon de briser tous les obstacles pour sortir de leur coquille. De longues successions de plans fixes sont rompues par des travellings qui s'emballent, et le récit, très elliptique comme d'habitude, s'appuie sur ces temps forts de ruptures, de plongées en avant. Il progresse dans une tension prodigieuse ; les portes s'ouvrent, les vitres se brisent, on s'approche de la vérité. De ce Décalogue 6, Krzysztof Kieslowski a tourné une version longue intitulée Brève Histoire d'amour. A la fin de celle-ci, Magda et Tomek semblent avoir un avenir commun. Ici, non : Kieslowski les laisse en plein désarroi. A eux de faire grandir le germe de vie implanté en eux.

Décalogue 7 (Tu ne voleras point)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Anna Polony (Eva), Maja Barelkowska (Majka), Wladyslaw Kowalski (Stefan), Boguslaw Linda (Wojtek).
Scénario : K. Kieslowski, Krzysztof Piesiewicz.
Musique : Zbigniew Preisner.
55 min

Ania, 6 ans, est élevée par sa grand-mère, qu'elle appelle sa maman. Elle semble grandir paisiblement auprès de sa soeur Majka, 22 ans. En fait, Ania est la fille de Majka...

« On peut voler un portefeuille, une voiture ou un tableau, dit Kieslowski, mais c'est banal. Le plus grave, c'est le vol de sentiments. » Une façon bien à lui d'illustrer le septième commandement et de mettre en place la tragédie : de vol en rapt, les personnages courent à leur ruine. Leur situation est inextricable et on les voit s'enfoncer lentement dans un entonnoir fatal. Cette fatalité et cette lutte mère-fille donnent au film des accents bergmaniens, accentués par les gros plans de visage et la ressemblance d'une comédienne avec Liv Ullmann. La mise en scène est implacable, indémêlable jusqu'au dénouement. Ania, vêtue de rouge comme le Petit Chaperon du conte, voyage dangereusement de la mère à la grande soeur comme l'héroïne de Perrault. Elle est vouée, elle aussi, à être dévorée.

Décalogue 8 (Tu ne mentiras point)

Réalisateur : Krzysztof Kieslowski
Distribution : Maria Koscialkowska (Zofia), Teresa Marczewska (Elizabeta), Tadeusz Lomnicki (le tailleur), Arthur Barcis (le jeune homme).
55 min

Zofia est professeur d'éthique à l'université de Varsovie. Pendant la guerre, elle a menti pour sauver un réseau de résistance, sacrifiant du même coup une enfant juive. Mais cette enfant, Elizabeta, a survécu. Quarante-cinq ans plus tard, les deux femmes se retrouvent.

Voilà sans aucun doute le plus polonais des Décalogues : au pays de Lech Walesa, la question de l'antisémitisme demeure épineuse. Que Kieslowski l'ait choisie pour aborder Tu ne mentiras point n'est pas dénué de sous-entendus ; que cet épisode soit plus explicatif que les autres n'est pas innocent. Mais le cinéaste aborde bien sûr son sujet d'un point de vue moral et pas historique. Seconds rôles insolites et décors bancals suggèrent d'ailleurs la question centrale de la rigueur et de la rectitude. Comme Zofia durant ses cours, Kieslowski cherche d'abord à partir de cas vécus les motivations d'un acte. Puis il prolonge sa réflexion pour décortiquer l'enchaînement faute, pardon, rédemption. Ce Décalogue 8 est un cheminement vers la lumière.