The Scar

(Blizna)

1970

 

 

FEATURE

After discussions and dishonest negotiations, a decision is taken as to where a large new chemical factory is to be built and Bednarz, an honest Party man, is put in charge of the construction. He used to live in the smalltown where the factory is to be built, his wife used to be a Party activist there, and he has unpleasant memories of it. But he sets to task in the belief that he will build a place where people will live and work well. His intentions and convictions, however, conflict with those of the townspeople who are primarily concerned with their short-term needs. Disillusioned, Bednarz gives up his post.

35mm colour - 104 mins

Synopsis (mk2 diffusion)

Un grand complexe chimique doit être construit dans une petite ville. Après de nombreuses discussions et négociations quelque peu douteuses, la décision concernant l'emplacement de l'usine est prise. La construction est confiée au directeur Bednarz qui a habité autrefois cette ville, où sa femme était très engagée politiquement. N'ayant pas conservé de bon souvenirs de ce temps-là, il est un peu réfractaire à l'idée d'y revenir. Mais Bednarz est un homme fort, décidé et honnête. Il est convaincu que grâce à son énergie il va construire, sans faire de compromis, non seulement un complexe chimique, mais aussi un site où les gens vivront dans le bonheur et sans conflit. Mais les habitants de la ville ne sont pas d'accord avec les mesures qu'il met en place. Ils tiennent compte uniquement des retombées immédiates dans leur vie quotidienne, sans être en mesure d'envisager des perspectives futures.

Au cours de l'année 1970, Bednarz démissionne de son poste puisque pratiquement rien ne se passe comme il l'avait prévu. Même s'il ne se sent pas coupable, il sait pertinemment qu'il n'a pas fait aboutir son projet.

Est-il possible d'accomplir des tâches sociales compliquées sans céder aux différentes pressions, sans flétrir sa propre conscience, sans paraître compromis ? Est-il possible d'envisager le futur quand on est entouré par la dure réalité quotidienne ?

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La Cicatrice est un film socio-réaliste à rebours.

Le socio-réalisme est un mouvement artistique qui fut en vigueur en Union Soviétique et dans les pays du bloc soviétique dans les années 50 : on, tournait de films qui servaient à démontrer comment les choses devaient être et pas comme elles étaient en réalité. Tout le monde devait travailler, être satisfait de son travail, être heureux dans sa vie personnelle, croire dans l'avenir du communisme et penser que celui-ci allait créer un monde meilleur.

Ce sont tous les éléments pris à rebours qui sont exposés dans le film. Tout s'y passe dans des usines (dont la construction détruit les forêts), dans les ateliers (où les ouvriers n'ont pas le droit de parler de leur travail aux médias), dans les réunions (où les membres se surveillent et ses trahissent entre eux), dans leur vie privée (où il faut qu'ils choisissent entre leur vie de famille et leur travail).

La Cicatrice est l'histoire de Bednarz, un home plein d'amertume, car il n'a jamais raison et qu'il a le sentiment de ne faire que du mal en croyant faire le bien, et qu'il ne peut plus voir ni juger ce qui est le plus important du mal qu'il fait ou du bien qu'il croit faire.

Krzysztof Kieslowski, in Kieslowski on Kieslowski de Danusia Stock (Faber and Faber, 1993)

 

Pologne, décembre 1970 : deux ans après les manifestations étudiantes, et suite à l'augmentation vertigineuse des prix de l'alimentation, les ouvriers des chantiers navals des ports de la Baltique se soulèvent, entraînant la chute de Wladyslaw Gomulka et l'arrivée au pouvoir d'Edward Gierek.

Au milieu des années 70, les jeunes cinéastes polonais encouragés et aidés par leurs aînés Wajda et Zanzi, ont développé un courant que les critiques de leur pays appelèrent "cinéma du désaccord", "cinéma de l'authenticité des sentiments", "cinéma du préjudice moral", "cinéma critique" ; le terme le plus répandu, quoique un temps proscrit, fut "cinéma de l'inquiétude morale".

L'initiateur de ce mouvement fut Krzysztof Kieslowski en 1976 avec son premier long métrage pour le cinéma, la Cicatrice où, pour le première fois sur les écrans polonais, était montrée l'une des grèves de décembre 1970 et fait allusion à l'insurrection de Gdansk.

D'abord retardée par la société de production d'Etat, Film Polski, l'autorisation d'exploiter ce film (et d'autres de la même famille courageuse) aurait été donnée à un très haut niveau (ministre de la Culture ou Gierek lui-même, selon la presse de l'époque), grâce à un rapport de force favorable aux masses polonaises et à leurs organisations démocratiques.

C'est ainsi qu'en 1978, après une première projection au 18ème Forum International du Jeune Cinéma de Berlin, La Cicatrice est enfin présentée au festival de Cannes.

Cette année-là, parmi les oeuvres polonaise présentes sur la croisette, deux autres films faisaient explicitement allusion aux révoltes ouvrières de Gdansk : l'Homme de marbre d'Andrzej Wajda (également tourné en 1976, quand la Pologne connaissait une grève générale et qui dut lui aussi sa sortie tardive à une longue bataille) et la Danse de l'épervier de Grzegorz Krolikiewicz.

La Cicatrice, sans doute le plus courageux de ces films, était aussi le moins aimé par Film Polski : après une unique projection au Marché du Film, il ne fut plus visionné, malgré les demandes insistantes des journalistes et des distributeurs.

Mise en cause de la technocratie et du pouvoir des "managers", qui constituaient, avec les bureaucrates politiques, la classe dominante en Pologne, la Cicatrice parle de la difficulté d'être socialiste en Pologne dans les années 70. Un manager-technocrate, appuyé par toutes les instances politiques mais court-circuité par un adjoint foncièrement stalinien, mène autoritairement, efficacement, l'installation d'une usine, jusqu'à ce que la protestation des travailleurs de la région - écartés des décisions les concernant directement - oblige le Parti à intervenir. C'est lui seul qu'on accable en vertu des nobles idéaux du socialisme : il démissionne et prend une retraite anticipée.

Si dans la plupart des cas le "cinéma de l'inquiétude morale" se caractérise plus par le simple souci de l'efficacité que par la recherche formelle, dans la Cicatrice le mélange des procédés narratifs traditionnels et de séquences de pur documentaire aboutit à la création d'un véritable style.

Après Cannes, le film retourne en Pologne, où la télévision le diffusera en 1979, dans une version remontée.

Lorsque, en février 1980, la revue Positif souhaite le présenter dans le cadre de sa semaine de films inédits au cinéma Olympic, Film Polski, d'abord réticent, consent finalement à en prêter une copie. Sans doute l'intention de minimiser la portée subversive d'un film qu'ils n'ont pas eu le pouvoir d'interdire totalement a-t-elle conduit les bureaucrates-producteurs à envoyer à Paris une copie en noir et blanc de très mauvaise qualité, sans sous-titres et amputée de certaines séquences (par exemple une rencontre entre l'adjoint stalinien du technocrate et une délégation populaire). Ensuite, il fut impossible de projeter le film en France.

Le 15 août 1980, éclatait à Gdansk un nouveau conflit social qui conduisit à la création le 22 septembre par Lech Walesa du syndicat indépendant, Solidarité.

C'est en septembre 1980 également, après le départ de Gierek, que le Calme (Spokoj), téléfilm réalisé par Krzysztof Kieslowski en 1975, faisant déjà allusion aux événements de 1970, est enfin diffusé, après cinq ans d'interdiction.

Le 19 février 1981, le général Wojciech Jaruzelski prend la tête du gouvernement, avant de devenir Premier Secrétaire du Parti le 18 octobre et d'instaurer l'état de siège le 13 décembre. Suite à la "décommunisation" du bloc de l'Est en 1989, Lech Walesa est élu Président de la République le 9 décembre 1990, succédant à... Jaruzelski qui l'avait fait arrêter en 1981 !

Informations principalement recueillies dans les textes de
Barthélémy Amengual, Jacques Demeure, Paulo Antonio Paranagua et Paul Louis Thiard
parus dans Positif entre 1978 et 1981.