outer space

envoyé par bojarski le 19 janvier 2002 à 00:17:06:

Interzone

Dix minutes qui brûlent les yeux. Là, sur ce palimpseste radioactif.

La nuit. Le danger qui guette. Dans le regard de la caméra légèrement oblique, surgit d’un noir profond une maison éclairée par une lumière vacillante en tremblotis stroboscopiques.
Une jeune femme s’approche lentement ; plan sur sa main qui ouvre la porte : de quoi a-t-elle peur ?
Lorsqu’elle entre, les points de montage craquent, la bande-son grince de façon atténuée et étouffée. Elle traverse silencieusement un couloir, se retrouve dans une chambre. Son visage démultiplié se brise alors contre l’écran et c’est tout le film qui plonge dans un chaos visuel et sonore.

Voici Outer Space de Peter Tscherkassky, perfection d’escamotage visuel et de dysnarration chaotique.

Le film délinéarise une scène initiale de The Entity/ L’Emprise de Sydney J. Furie, (film d’horreur avec Barbara Hershey et support de cette entreprise de found-footage propre à la pratique expérimentale ( cinéma du remontage qui signifie le réemploi d’archives ou de films comme matières premières à un retravail ; matériau récupéré ou recyclé ; récupération en effet puisque ici le film matrice fut trouvé dans une poubelle.)) en la déformant et en la consumant photogramme par photogramme jusqu’à son implosion pelliculaire. Le nouveau tirage, la nouvelle exposition du matériel, le travail au stylo laser, image par image, font chevaucher les images et les espaces les uns dans les autres, soustraient au public toute assise et fendent les visages comme dans un cauchemar.
Du off, du outer space justement, des forces étranges s’introduisent dans les images et bouleversent le montage ; des murs de verre éclatent, des meubles se renversent , l’héroïne est prise dans les sidérations d’une mise en scène déréglée qui entraîne le spectateur dans un brasier d’images épileptiques secouées jusqu’à l’effervescence.
De cette dérégulation plastique naissent quelques plans faramineux qui ouvrent des brèches saisissantes dans l’écran et la psyché du spectateur, convulsé par le vertige et l’effroi avant hypnose rétinienne en négatif solarisé.
Tscherkassky harcèle son héroïne , la projette de mur en mur-visage démultiplié en traces fantomatiques qui s’abîme en un cri-, la pousse contre l ‘appareil cinématique jusqu’ à ce que les images se mettent à bégayer, à sortir de leurs gonds. Le cinéma se déchire lui-même en vingt quatre Tchernobyl par seconde dans l’espoir d’une dernière extase.
Outer Space : un shocker sur le dysfonctionnement filmique, un hellraiser du cinéma d’avant garde qui déclenche un enfer et mène la destruction avec une rare beauté.
Où comment un réalisateur éventre son matériel jusqu’à la panique de la machine cinématographique.

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