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O C : Que pensez-vous d'un cinéaste comme Léos Carax avec qui l'on vous a un jour comparé...
JJ Beineix : On faisait en effet souvent un amalgame entre nous il y a quelques années. Il fallait ajouter Besson à la liste. Cette liste se conjuguait dans tous les sens. Il y a certainement des points communs entre le cinéma de Carax et le mien, plus qu'entre Besson et moi, ceci n'est pas un jugement de valeur. Aujourd'hui Luc a changé de braquet, nous on reste des besogneux, lui il vole vers les sommets, il construit un empire. C'est assez remarquable. Je ne sais pas pour Carax, mais moi je ne sais pas faire cela. J'en ai eu la velléité à une époque chez Gaumont, mais ils n'ont pas compris ce que je voulais. Je n'ai jamais rencontré Carax, enfin nous nous sommes croisés pour la première fois, étrangement, il y a quelques semaines à Hong Kong.
Je connais tous ces films et je les trouve traversés d'éclairs de génie bien souvent. À un moment, j'avais l'impression d'une proximité de nos styles. Il y avait des rencontres entre La Lune dans le caniveau et Les Amants du Pont-Neuf. On avait fait tous les deux une œuvre poétique, pas forcément bien comprise, dans lequel le rapport entre le réalisme et la poésie était parfois magnifiquement maîtrisé, et, à d'autres, beaucoup moins. Il y avait des moments formels fulgurants.
Les destins des deux films ont été extrêmement chahutés, controversés, mais l'accueil critique était plus réussi pour Carax, alors que La Lune a, objectivement subi un lynchage. J'aurais l'occasion de revenir sur ce point dans un livre dont je vais commencer l'écriture très prochainement.
Je me souviens de m'être extasié devant certaines scènes de son dernier film. Je pense parfois qu'il fait tout pour qu'on ne l'aime pas, pour être certain de ne pas être déçu par le désamour des autres, pour ne pas avoir la déception d'être abandonné. En quelque sorte, il crée les conditions d'un amour impossible, entre le public et lui. Ces films, en grande partie, disent cela indirectement en montrant des personnages qui s'excluent, qui se marginalisent.
Pourquoi un cinéaste existe-t -il plus qu'un autre ? C'est parce qu'il dit quelque chose de très fondamental pour lui, de très personnel. Qu'il a un style, probablement aussi. "
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