Bartas et Tarkovski

envoyé par Aliocha le 05 février 2002 à 20:45:10:

en réponse à Re: un film beau tous les deux mois, ça suffit à respirer dans le noir. envoyé par LaurentM le 05 février 2002 à 12:31:10:

Few of us est peut-être -si c'est possible- encore plus minimaliste que The House (le plus abstrait étant quand même Corridor, non ? Encore que...). Comme dans tous les films de Bartas que j'ai vus, y a pratiquement pas une parole prononcée... Et y a une sacrée atmosphère. On ne sait pas vraiment où on est, quand on est...(après, avant une guerre, l'apocalypse ???) Mais on y est. Avec en plus la présence de cette femme au visage si sublime qu'est Katerina Golubeva. Je pourrais te dire en quelques mots l' "histoire" du film, mais y a pas grand chose à dire, en fait... On suit un personnage féminin qui apparemment a décidé de quitter la ville et la civilisation qu'elle connait, pour vivre chez une peuplade de Sibérie (avec lequel elle a peut-être des liens, on ne le sait pas vraiment). Et le spectateur assiste au choc, aux conséquences de la rencontre, à certains conflits qui naissent dans ces contrées magnifiques et glacées, comme un monde à part...
Bartas est un vrai poète, certains plans sont inoubliables... Des sensations... Des rencontres... Des vertiges... Des visages comme des paysages, des paysages comme des visages... Je trouve pas trop les mots, en fait. Le cinéma de Bartas est plus facile à ressentir, à vivre, à habiter, qu'à commenter... Je l'ai vu sur Arte et je crois que c'est une sorte de film infini, qu'on peut voir et revoir en y trouvant la même intensité, le même mystère, la même beauté... Au passage, je pense que le cinéma de Bartas puise ses racines contemplatives un peu dans le cinéma de Rossellini (Stromboli, film pas trop éloigné du Bartas de Few of Us si on y réfléchit, avec cette femme -Ingrid Bergman- évoluant dans une communauté qui lui est au départ étrangère, se confrontant à la Nature dans les sublimes dernières scènes...), tout comme Kiarostami d'ailleurs... Et puis aussi, le ciné de Bartas me fait parfois penser au premier quart d'heure de Paris, Texas... L'errance, le mystère, peu de mots... Je connais pas tous les Wenders, mais il doit y avoir certains de ses films qui plaisent à Bartas, qui sait ? Et puis y a l'ombre de Tarkovski... Mais Bartas me semble peut-être moins chrétien. Encore que... y a une crucifixion vers la fin de The House, non ? Certes, il ne s'agit peut-être que d'un rituel parodique, vidé de son sens... Où est Dieu chez Bartas ? Probablement inaccessible... Ou mort ? Je ne sais pas... En tout cas, y a une grande spiritualité dans ce cinéma... Certaines images de la misère dans Corridor, des bougies dans la nuit... Y a de la compassion, en tout cas, c'est sûr, pour tous les paumés "de l'autre côté de la vie"... Bon, mais l'aspect politique de Bartas n'est pas ce que je préfère (comme les timides tentatives de Carax dans ce domaine)... D'autant que (attention pour ceux qui ne l'auraient pas vu !!!!) la fin de The House peut paraître un brin naïve, avec cette armée (fasciste ? Soviétique ?) qui vient bousiller tout le monde... Bon, certes, le film montre que tous les exclus (artistes... -avec Carax himself!!- Paumés... Des gens qui ont des difformités physiques... qui ont décidé d'en finir avec leur vie habituelle ??) se sont réunis dans une grande demeure (peut-être pour se protéger d'une guerre, d'un conflit ??? -lointaine ombre du Sacrifice de Tarkovski...)... Et à la fin, ce "mal" les retrouve... Je sais pas... Mais bon, comme Carax, on peut pas dire qu'il ait eu énormément de pif pour ce qui se passe aujourd'hui... Pas trop "voyant" au sens rimbaldien... Le danger actuel principal à mes yeux (le fascisme islamique), personne ne l'a vu venir... M'étonnerait que ce soit des guignols comme les trous-du-cul d'extrême droite ou des fachos qui nous zigouillent un de ces jours... Mais bon, passons.
Tarkovski, quant à lui, est selon moi tout simplement l'un des dix plus grands cinéastes de toute l'histoire du septième art (et c'est mon préféré avec Kubrick, au passage...). Son cinéma, sa force poétique, sa profondeur et son exigence spirituelles sont quasiment uniques... Peut-être seuls Dreyer et Bresson en sont voisins. Voilà un bonhomme qui commence avec un film de guerre intelligent (L'enfance d'Ivan, lion d'or en 1962 à Venise si mes souvenirs sont bons) et qui avec son deuxième film devient un pur génie. 1966-69, Andreï Roublev, fresque d'une puissance exceptionnelle, raconte la vie d'un peintre russe d'Icones -qui a existé- qui essaie au 15ème siècle, au milieu de la violence, de créer... C'est nul d'essayer de résumer ce monument sur l'art, la responsabilité d'un artiste, la spiritualité (que Bergman a pu dire qu'il considérait comme le plus grand film de tous les temps)... Faut le voir, c'est un film... Comment dire... On n'en voit qu'un ou deux comme ça dans une vie. Moi, c'est 2001 et Andreï Roublev, et après, y a le reste...
Et puis y a Solaris, le plus grand film de SF après 2001... En 1972... Le plus profond avec le Kubrick... Extraordinaire (faut vraiment que tu vois ça, mais essaie de le voir surtout pas dans la collection les Films de ma vie, le format scope est inexplicabelement massacré... Il est passé sur la 2 à 1h30 du matin y a environ un an je crois) Et dire que Soderbergh va en faire un remake!!!!!!!!! C'est un crime. Un crime.
Ensuite, y a mon préféré, peut-être, Le Miroir, de 1974, mais sorti plus tard (d'ailleurs, Tarkovski a eu plein de problèmes pour diffuser correctement ses films, liés principalement à la bêtise des autorités soviétiques...). Le Miroir, c'est comme Proust ou Joyce, ou carrément Vinci (peintre qui est une référence absolue pour Tarkovski, comme Dürer et Bruegel)... C'est de la pensée transformée en art... mise en images... De l'esprit, des souvenirs... Une sorte d'autoportrait... C'est surtout un film incomparable, inoubliable... Comme la musique de Bach (la Passion selon StJean) qu'il utilise... Le Miroir est un candidat sérieux au titre de plus beau film du monde. Il raconte les souvenirs, les doutes (avec une structure assez libre) d'un artiste malade qui se penche sur sa vie, le monde, sa mémoire... Je me souviens qu'en voyant la bande-annonce de Pola X pour la première fois, je me suis dit: Carax a vu du Tarkovski... L'utilisation des images de guerre, la Nature... Quelque chose, quoi... Et le monde est petit: Katerina Golubeva (qui a joué dans Pola X, donc) se promène souvent avec un livre de poèmes du père d'Andreï tarkovski, Arseni...
Après, y a Stalker, film de SF qui est bien plus que ça... Méditation sur l'art, le pouvoir, l'esprit... La force de l'esprit... Superbe. On peut commencer avec ce film si on connait pas bien Tarkovski... Mais attention, c'est un cinéma très lent, hypnotique... EXIGEANT, quoi... Et pourquoi pas... ça se mérite, quoi...
Après, y a Nostalghia, coécrit avec le génial tonino Guerra (scénariste entres autres pour Antonioni, Fellini, Angelopoulos), qui se passe en Italie. Somptueuse errance, avec des plans d'une indicible beauté (les dernières scènes sont peut-être ce qui résume le mieux le message de Tarkovski... faut le voir, ça sert à rien que j'explique).
Et puis y a le dernier film, testament émouvant qui rend hommage à Bergman. Parabole quasi biblique (ou païenne, ou panthéiste, tout cela est un peu mélangé...), apocalyptique, mystique... Et terriblement humaine. Tout le sort de l'humanité dans la foi d'un homme... Avec de l'ambiguïté aussi... A voir.
C'est 1986. L'année de la mort de Tarkovski d'un cancer. La mort d'un immense poète. Il faut lire Le Temps Scellé, magnifique essai du maître, ainsi que son bouleversant Journal... On y voit l'érudition, l'intelligence, le courage... Et beaucoup d'autres choses... Sa vision de Bresson, qu'il considère comme le plus grand... Ses projets (il en avait encore des tas quand il est mort...)... Tarkovski, c'est un dieu pour moi. Je pense qu'on en aura plus jamais, un cinéaste aussi profond, puissant, poétique, visionnaire... Et je trouve dégueu, irresponsable, que Godard en mette pas une image dans ses Histoires du Cinéma...

Tu peux découvrir certains de ses sept films en vidéo chez les Films de ma vie (L'enfance d'Ivan, Andréi Roublev -il faut le voir dans sa version intégrale d'environ 3h15-, Stalker, Le Sacrifice). Le Miroir est dur à trouver... Il était passé sur Arte dans le cadre de la semaine Von Trier (il adore Tarkovski) y a quelques années... Quant à Solaris, il existe dans les FIlms de ma vie, mais en PAN et SCAN!!! une honte...
Voilà...
bye,
A.

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